Cerisy-Gailly (80)

 

Cerisy-Gailly est le village de mes souvenirs d'enfance. Celui où, chaque été, je venais passer quelques semaines de vacances dans la ferme de mes grands-parents. Je ne comprenais pas encore pourquoi eux, des Belges, vivaient ici, mais c'est lors de ces vacances que j'ai découvert "la Guerre" : d'abord dans la cour et les dépendances où se trouvaient casques rouillés, munitions, baïonnettes, éclats d'obus, ... ; mais, surtout, face au jardin où nous nous rendions dans un vieux tracteur des années 50, là où étaient implantés les deux "cimetière militaires", que j'ai donc, très vite, arpenté de long en large. Mais le destin a aussi voulu que leur voisin le plus proche soit Alphonse Pasquier. Né au village en 1900, il avait vécu les deux guerres mondiales, la première sans quitter Cerisy, ou presque, en devenant un témoin privilégié. Je me souviens des bonbons donnés par son épouse, l'affection qu'elle  avait pour moi et aussi des cueillettes de cerises dans leur verger situé devant la ferme. Mais je me souviens surtout de M. Pasquier parce qu'il avait écrit un livre sur son village. C'est par l'exemplaire qu'il avait offert à ma grand-mère que j'ai découvert la Grande Guerre. J'étais encore un enfant mais l'Histoire me passionnait déjà. Elle allait désormais faire partie de ma vie.

Situé entre la D71 et la rivière Somme, à moins de dix kilomètres au sud-ouest de Bray-sur-Somme et moins de trente à l'est d'Amiens, Cerisy-Gailly a été, pendant la Grande Guerre, un de ces villages de l'arrière ayant vu défiler les troupes de passage avant de monter, ou de revenir, en première ligne. C'est à la fin d'août 1914 que Cerisy-Gailly vit passer les troupes allemandes qui désertèrent la région après la Bataille de la Marne. Les combats se déplacèrent alors vers l'est, dans la région de Proyart, à moins de dix kilomètres du village, puis vers Dompierre. La guerre de tranchées commençait, Cerisy-Gailly allait alors vivre au rythme du conflit, à l'heure britannique, voir la construction d'une gare et d'un hôpital, connaître les préparatifs de la Bataille de la Somme et des événements mouvementés avant de vivre les derniers mois de la guerre.

 

 La vie pendant les premiers mois de guerre

 

Cerisy-Gailly abrita les trains régimentaires des régiments en ligne, les postes de secours et les combattants au repos. Fantassins, cavaliers et artilleurs, toutes les armes défilèrent au village. Des soldats venus de toutes les régions de France. Les habitants purent ainsi découvrir toute la misère de la vie de ces hommes. Des crasseux plein de boue et de poux. Tout le village en était infesté. Normal, puisque les poilus logeaient partout où ils le pouvaient : chambres chez l'habitant pour les gradés, granges et étables pour les autres. Et tous cherchaient partout de quoi améliorer l'ordinaire : paille, foin, légumes et autres gourmandises, sans oublier le fameux pinard. Mais il n'était pas rare non plus que les soldats offrent aux habitants des surplus de leurs rations (riz, lentilles, sucre, café, ...).
Le temps passa mais il y avait toujours autant de monde au village. La tenue bleu horizon des troupes françaises remplaça bientôt le garance du début de la guerre. Des avions passaient de plus en plus souvent, bien visibles dans le ciel bleu de ce petit coin de la Somme.

 

 Les Britanniques à Cerisy-Gailly

 

Depuis la fin de l'automne 1914, les Britanniques occupaient le village voisin de Chipilly. Sur l'autre rive de la Somme. Au début de l'été 1915, Cerisy-Gailly passa à son tour dans leur secteur. Ce fut alors une attraction pour tous les habitants : des uniformes nouveaux, une langue qu'ils ne comprenaient pas, des instruments de musique inconnus et surtout cette nourriture si peu familière (comme le pain blanc). Anglais, Irlandais, Ecossais (et leur fameux kilt), Australiens et même des Hindous passèrent par Cerisy-Gailly. Les habitudes changeaient. Ces soldats étaient installés dans des baraques d'habitation à la sortie du village. Un village dans le village avec bâtiments à usage médical, cinéma, ... Le tout très bien entretenu et agrémenté de fleurs et d'arbustes.

 

 La gare et l'hôpital

 

Au début du printemps 1916, les Britanniques retournèrent sur l'autre rive de la Somme, du côté de Chipilly. Les Français revinrent alors à Cerisy-Gailly et intriguèrent les villageois par leur comportement. Il y avait, partout en plaine, des officiers qui examinaient, arpentaient et faisaient des plans. Bientôt, des sapeurs du génie et des territoriaux équipés de pelles, de pioches et de brouettes se mirent à creuser, à remblayer et à amener du ballast à travers les champs. En quelques temps, un hôpital et une gare furent construits aux abords immédiats du petit village.
Pour l'hôpital, des bâtiments en dur et des dizaines de baraques Adrian furent érigés. L'ensemble devint le H.O.E. 3 (hôpital d'évacuation n°3). Pour la gare, ce furent une douzaine de voies qui passèrent dans le village. Certaines "normales", d'autres de 60 cm, les Decauville. Chacune avait une fonction propre : munitions, matériel, fourrage, ... Il y eut même, près du village, des pièces d'artillerie sur voie ferrée. Venant de Marcelcave et de plus loin encore, ces voies allaient vers divers secteurs du front (Cappy, Frise, ...). Des bureaux pour le personnel de gare et des baraquements pour les territoriaux cantonniers furent construits.
Tout cela laissa deviner aux habitants qu'une grande offensive se préparait. L'idée en était renforcée par le nombre croissant de ballons captifs, destinés à masquer toutes ces activités, dans le ciel de Cerisy-Gailly et par l'arrivée d'escadrilles d'aviation à proximité. La Bataille de la Somme était pour le 1er juillet.

 

 La Bataille de la Somme

 

De cette bataille, Cerisy-Gailly vit surtout passer les nombreuses et longues colonnes de prisonniers allemands encadrés par des territoriaux baïonnette au canon ou par des cavaliers sabre au clair. En secteur français, les résultats de l'offensive, vers Péronne, étaient bien meilleurs que ceux des Britanniques dans le secteur d'Albert.
L'H.O.E. 3 était en pleine activité, les baraques remplies de blessés. Chaque jour on enterrait dans le cimetière militaire ouvert depuis le 12 février à côté du cimetière communal. Un atelier de menuiserie fut créé dans le village pour construire les bières. Il fallait en avoir suffisamment à l'avance.
Aux abords de l'automne, le front s'éloigna alors de Cerisy-Gailly. Les troupes y venaient pour des repos plus long, souvent jusqu'à dix jours. Mais la guerre continuait ...

 

 La destruction de la gare

 

Dans la nuit du 6 au 7 novembre 1916, un avion allemand bombarda un train de munitions qui entrait en gare. Celui-ci explosa et le feu se communiqua aux dépôts de cartouches, d'obus et de grenades. Les explosions étaient terribles. L'incendie fut tel qu'on raconte qu'il était visible d'Amiens où l'on voyait des gerbes lumineuses monter vers le ciel.
Malgré tout, il n'y eut aucune victime. Mais les dégâts furent considérables : plus de couvertures aux toits, vitres brisées jusqu'aux villages environnants, dépôts anéantis, entonnoirs et fer fondu (tels les rails de chemin de fer), obus épars et non éclatés, ... Dans les jours qui suivirent, les territoriaux récupérèrent des mètres-cubes de cuivre sur les champs aux alentours.
Pour s'abriter, après avoir passé plusieurs nuits dans les caves par crainte de nouvelles attaques aériennes, les habitants durent récupérer toutes les tôles qu'ils purent trouver et la préfecture dut fournir des kilomètres de toile huilée pour remplacer les carreaux.

Aujourd'hui, la "gare" est redevenu un champ près duquel les pavillons se rapprochent de plus en plus. Si je ne l'avais pas découvert sur une carte au 1/25.000, je n'aurais pas su la situer correctement. Et pourtant, combien de fois mes promenades en vélo m'avaient amené là. Et combien de fois y ai-je découvert des éclats mais aussi des obus non éclatés que l'agriculteur déposait au bord du chemin.

 

 De 1917 à la fin de la guerre

 

La vie reprit son cours. Toujours la même. Les Britanniques relevèrent une nouvelle fois les Français. Les villageois se demandaient si la guerre finirait un jour. Mais à la fin mars 1918, l'offensive allemande parvint jusqu'à Cerisy-Gailly pour n'être stoppée qu'à Hangard et Villers-Bretonneux. Ce ne fut que le 8 août que Cerisy fut libéré par des troupes britanniques (Anglais, Canadiens et Australiens). La guerre s'éloignait alors à jamais de ce village de la Somme qui l'avait vécue au quotidien pendant près de quatre ans. Et le 11 novembre 1918, pas de cris de joie, pas d'exubérance. Le village était dans une telle ruine. Il était l'heure de reconstruire et de pleurer les 25 morts pour la France. Une nouvelle ère débutait.

 

 Bibliographie

 

  • "Cerisy-Gailly mon village" d'Alphonse Pasquier aux Editions Eklitra - XVIII

 

A voir à Cerisy-Gailly

  V&V - dernière modification : 1er juin 2003  -  retour haut de page