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Cerisy-Gailly
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Cerisy-Gailly
est le village de mes souvenirs d'enfance. Celui où,
chaque été, je venais passer quelques
semaines de vacances dans la ferme de mes grands-parents.
Je ne comprenais pas encore pourquoi eux, des Belges,
vivaient ici, mais c'est lors de ces vacances que j'ai
découvert "la Guerre" : d'abord dans
la cour et les dépendances où se trouvaient
casques rouillés, munitions, baïonnettes,
éclats d'obus, ... ; mais, surtout, face au jardin
où nous nous rendions dans un vieux tracteur
des années 50, là où étaient
implantés les deux "cimetière militaires",
que j'ai donc, très vite, arpenté de long
en large. Mais le destin a aussi voulu que leur voisin
le plus proche soit Alphonse Pasquier. Né au
village en 1900, il avait vécu les deux guerres
mondiales, la première sans quitter Cerisy, ou
presque, en devenant un témoin privilégié.
Je me souviens des bonbons donnés par son épouse,
l'affection qu'elle avait pour moi et aussi des
cueillettes de cerises dans leur verger situé
devant la ferme. Mais je me souviens surtout de M. Pasquier
parce qu'il avait écrit un livre sur son village.
C'est par l'exemplaire qu'il avait offert à ma
grand-mère que j'ai découvert la Grande
Guerre. J'étais encore un enfant mais l'Histoire
me passionnait déjà. Elle allait désormais
faire partie de ma vie.
Situé
entre la D71 et la rivière Somme, à moins
de dix kilomètres au sud-ouest de Bray-sur-Somme
et moins de trente à l'est d'Amiens, Cerisy-Gailly
a été, pendant la Grande Guerre, un de
ces villages de l'arrière ayant vu défiler
les troupes de passage avant de monter, ou de revenir,
en première ligne. C'est à la fin d'août
1914 que Cerisy-Gailly vit passer les troupes allemandes
qui désertèrent la région après
la Bataille de la Marne. Les combats se déplacèrent
alors vers l'est, dans la région de Proyart,
à moins de dix kilomètres du village,
puis vers Dompierre. La guerre de tranchées commençait,
Cerisy-Gailly allait alors vivre au rythme du conflit,
à l'heure britannique, voir la construction d'une
gare et d'un hôpital, connaître les préparatifs
de la Bataille de la Somme et des événements
mouvementés avant de vivre les derniers mois
de la guerre. |
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La vie pendant les premiers
mois de guerre |
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Cerisy-Gailly
abrita les trains régimentaires des régiments
en ligne, les postes de secours et les combattants au
repos. Fantassins, cavaliers et artilleurs, toutes les
armes défilèrent au village. Des soldats
venus de toutes les régions de France. Les habitants
purent ainsi découvrir toute la misère
de la vie de ces hommes. Des crasseux plein de boue
et de poux. Tout le village en était infesté.
Normal, puisque les poilus logeaient partout où
ils le pouvaient : chambres chez l'habitant pour les
gradés, granges et étables pour les autres.
Et tous cherchaient partout de quoi améliorer
l'ordinaire : paille, foin, légumes et autres
gourmandises, sans oublier le fameux pinard. Mais il
n'était pas rare non plus que les soldats offrent
aux habitants des surplus de leurs rations (riz, lentilles,
sucre, café, ...). Le temps passa mais il
y avait toujours autant de monde au village. La tenue
bleu horizon des troupes françaises remplaça
bientôt le garance du début de la guerre.
Des avions passaient de plus en plus souvent, bien visibles
dans le ciel bleu de ce petit coin de la Somme. |
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Les Britanniques à
Cerisy-Gailly |
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Depuis
la fin de l'automne 1914, les Britanniques occupaient
le village voisin de Chipilly. Sur l'autre rive de la
Somme. Au début de l'été 1915,
Cerisy-Gailly passa à son tour dans leur secteur.
Ce fut alors une attraction pour tous les habitants
: des uniformes nouveaux, une langue qu'ils ne comprenaient
pas, des instruments de musique inconnus et surtout
cette nourriture si peu familière (comme le pain
blanc). Anglais, Irlandais, Ecossais (et leur fameux
kilt), Australiens et même des Hindous passèrent
par Cerisy-Gailly. Les habitudes changeaient. Ces soldats
étaient installés dans des baraques d'habitation
à la sortie du village. Un village dans le village
avec bâtiments à usage médical,
cinéma, ... Le tout très bien entretenu
et agrémenté de fleurs et d'arbustes. |
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La gare et l'hôpital |
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Au
début du printemps 1916, les Britanniques retournèrent
sur l'autre rive de la Somme, du côté de
Chipilly. Les Français revinrent alors à
Cerisy-Gailly et intriguèrent les villageois
par leur comportement. Il y avait, partout en plaine,
des officiers qui examinaient, arpentaient et faisaient
des plans. Bientôt, des sapeurs du génie
et des territoriaux équipés de pelles,
de pioches et de brouettes se mirent à creuser,
à remblayer et à amener du ballast à
travers les champs. En quelques temps, un hôpital
et une gare furent construits aux abords immédiats
du petit village. Pour l'hôpital, des bâtiments
en dur et des dizaines de baraques Adrian furent érigés.
L'ensemble devint le H.O.E. 3 (hôpital d'évacuation
n°3). Pour la gare, ce furent une douzaine de voies
qui passèrent dans le village. Certaines "normales",
d'autres de 60 cm, les Decauville. Chacune avait une
fonction propre : munitions, matériel, fourrage,
... Il y eut même, près du village, des
pièces d'artillerie sur voie ferrée. Venant
de Marcelcave et de plus loin encore, ces voies allaient
vers divers secteurs du front (Cappy, Frise, ...). Des
bureaux pour le personnel de gare et des baraquements
pour les territoriaux cantonniers furent construits.
Tout cela laissa deviner aux habitants qu'une grande
offensive se préparait. L'idée en était
renforcée par le nombre croissant de ballons
captifs, destinés à masquer toutes ces
activités, dans le ciel de Cerisy-Gailly et par
l'arrivée d'escadrilles d'aviation à proximité.
La Bataille de la Somme était pour le 1er juillet. |
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La Bataille de la Somme |
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De
cette bataille, Cerisy-Gailly vit surtout passer les
nombreuses et longues colonnes de prisonniers allemands
encadrés par des territoriaux baïonnette
au canon ou par des cavaliers sabre au clair. En secteur
français, les résultats de l'offensive,
vers Péronne, étaient bien meilleurs que
ceux des Britanniques dans le secteur d'Albert.
L'H.O.E. 3 était en pleine activité, les
baraques remplies de blessés. Chaque jour on
enterrait dans le cimetière militaire ouvert
depuis le 12 février à côté
du cimetière communal. Un atelier de menuiserie
fut créé dans le village pour construire
les bières. Il fallait en avoir suffisamment
à l'avance. Aux abords de l'automne, le front
s'éloigna alors de Cerisy-Gailly. Les troupes
y venaient pour des repos plus long, souvent jusqu'à
dix jours. Mais la guerre continuait ... |
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La destruction de la gare |
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Dans
la nuit du 6 au 7 novembre 1916, un avion allemand bombarda
un train de munitions qui entrait en gare. Celui-ci
explosa et le feu se communiqua aux dépôts
de cartouches, d'obus et de grenades. Les explosions
étaient terribles. L'incendie fut tel qu'on raconte
qu'il était visible d'Amiens où l'on voyait
des gerbes lumineuses monter vers le ciel. Malgré
tout, il n'y eut aucune victime. Mais les dégâts
furent considérables : plus de couvertures aux
toits, vitres brisées jusqu'aux villages environnants,
dépôts anéantis, entonnoirs et fer
fondu (tels les rails de chemin de fer), obus épars
et non éclatés, ... Dans les jours qui
suivirent, les territoriaux récupérèrent
des mètres-cubes de cuivre sur les champs aux
alentours. Pour s'abriter, après avoir passé
plusieurs nuits dans les caves par crainte de nouvelles
attaques aériennes, les habitants durent récupérer
toutes les tôles qu'ils purent trouver et la préfecture
dut fournir des kilomètres de toile huilée
pour remplacer les carreaux.
Aujourd'hui,
la "gare" est redevenu un champ près
duquel les pavillons se rapprochent de plus en plus.
Si je ne l'avais pas découvert sur une carte
au 1/25.000, je n'aurais pas su la situer correctement.
Et pourtant, combien de fois mes promenades en vélo
m'avaient amené là. Et combien de fois
y ai-je découvert des éclats mais aussi
des obus non éclatés que l'agriculteur
déposait au bord du chemin. |
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De 1917 à la fin
de la guerre |
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La
vie reprit son cours. Toujours la même. Les Britanniques
relevèrent une nouvelle fois les Français.
Les villageois se demandaient si la guerre finirait
un jour. Mais à la fin mars 1918, l'offensive
allemande parvint jusqu'à Cerisy-Gailly pour
n'être stoppée qu'à Hangard et Villers-Bretonneux.
Ce ne fut que le 8 août que Cerisy fut libéré
par des troupes britanniques (Anglais, Canadiens et
Australiens). La guerre s'éloignait alors à
jamais de ce village de la Somme qui l'avait vécue
au quotidien pendant près de quatre ans. Et le
11 novembre 1918, pas de cris de joie, pas d'exubérance.
Le village était dans une telle ruine. Il était
l'heure de reconstruire et de pleurer les 25 morts pour
la France. Une nouvelle ère débutait. |
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Bibliographie |
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A voir à Cerisy-Gailly |
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V&V - dernière modification
: 1er juin 2003 - retour haut de page |
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