Lettre écrite par Jean Blanchard, fusillé à Vingré 3 décembre 11 h 1/2 du soir Ma chère Bien
aimée c'est dans une grande détresse que je me met
à t'écrire et si Dieu et la Sainte Vierge ne me viennent
en aide c'est pour la dernière fois, je suis dans une telle
détresse et une telle douleur que je ne sais trouver tout
ce que je voudrais pouvoir te dire et je vois d'ici quand tu vas
lire ces lignes tout ce que tu vas souffrir ma pauvre amie qui m'est
si chère, pardonne-moi tout ce que tu vas souffrir par moi.
Je serais dans le désespoir complet si je n'avais la foi
et la religion pour me soutenir dans ce moment si pénible
pour moi. Car je suis dans la position la plus terrible qui puisse
exister pour moi car je n'ai plus longtemps à vivre à
moins que Dieu par un miracle de sa bonté ne me vienne en
aide. Je vais tacher en quelques mots de te dire ma situation mais
je ne sais si je pourrai, je ne m'en sens guère le courage.
Le 27 novembre, à la nuit étant dans une tranchée
face à l'ennemi les Allemands nous ont surpris, et ont jeté
la panique parmi nous, dans notre tranchée, nous nous sommes
retirés dans une tranchée arrière, et nous
sommes retournés reprendre nos places presque aussitôt,
résultat une dizaine de prisonniers à la compagnie
dont 1 à mon escouade, pour cette faute nous avons passé
aujourd'hui soir l'escouade (24 hommes) au conseil de guerre et
hélas nous sommes 6 pour payer pour tous, je ne puis t'en
expliquer davantage ma chère amie, je souffre trop, l'ami
Darlet pourra mieux t'expliquer, j'ai la conscience tranquille et
je me soumets entièrement à la volonté de Dieu
qui le veut ainsi c'est ce qui me donne la force de pouvoir t'écrire
ces mots ma chère bien aimée qui m'a rendu si heureux
le temps que j'ai passé près de toi, et dont j'avais
tant d'espoir de retrouver. Le 1er décembre au matin on nous
a fait déposer sur ce qui s'était passé et
quand j'ai vu l'accusation qui était portée contre
nous et dont personne ne pouvait se douter j'ai pleuré une
partie de la journée et n'ai pas eu la force de t'écrire,
le lendemain je n'ai pu te faire qu'une carte ; ce matin sur l'affirmation
qu'on disait que ce ne serait rien j'avais repris courage et t'ai
écrit comme d'habitude mais ce soir ma bien aimée
je ne puis trouver des mots pour te dire ma souffrance, tout me
serait préférable à ma position, mais comme
Dieu sur la Croix je boirai jusqu'à la lie le calice de douleur.
Adieu ma Michelle adieu ma chérie, puisque c'est la volonté
de Dieu de nous séparer sur la terre j'espère bien
qu'il nous réunira au ciel où je te donne rendez-vous,
l'aumônier ne me sera pas refusé et je me confierai
bien sincèrement à lui, ce qui me fait le plus souffrir
de tout, c'est le déshonneur pour toi pour nos parents et
nos familles, mais crois-le bien ma chère bien aimée
sur notre amour, je ne crois pas avoir mérité ce châtiment
pas plus que mes malheureux camarades qui sont avec moi et ce sera
la conscience en paix que je partirai devant Dieu à qui j'offre
toutes mes peines et mes souffrances et me soumets entièrement
à sa volonté. Il me reste encore un petit espoir d'être
gracié oh bien petit mais la Sainte Vierge est si bonne et
si puissante et j'ai tant confiance en elle que je ne puis désespérer
entièrement. Jean Blanchard avait 34 ans et il écrivit cette lettre la veille de son exécution. Sa femme, Michelle, recevra en 1921 un diplôme de réhabilitation pour toute consolation. |